Les rebelles yéménites, les Houthis ont lancé des attaques de drones armés avec beaucoup plus de précision et à plus longue portée que les Etats-Unis et leurs alliés du Golfe ne l’ont publiquement reconnu, confient des sources connaissant bien la question, montrant à quel point la technologie facilement accessible crée de nouveaux dangers pour Washington et ses alliés au Moyen-Orient.
Un drone houthi a frappé une raffinerie de pétrole saoudienne à proximité de la capitale Riyad, en juillet, a déclaré un dirigeant de la compagnie et un responsable du Golfe. Ce mois-là, un autre a évité les défenses aériennes des Emirats arabes unis et a explosé à l’aéroport international d’Abu Dhabi, selon des sources au fait du sujet.
L’attaque de l’aéroport a endommagé un camion et retardé certains vols, mais sa portée et son audace ont perturbé le gouvernement des Emirats arabes unis, qui a nié son existence, une version que les Etats-Unis ont soutenue, déclarent d’anciens responsables américains. Les dirigeants saoudiens ont également nié publiquement les affirmations de Houthis concernant l’attaque contre Aramco, qui a également causé des dommages limités.
Les Houthis, présentés par leurs ennemis comme étant arriérés et tribaux, ont à ce jour lancé plus 140 tentatives d’attaques de drones, selon les estimations des autorités saoudiennes. La technologie employée a rapidement évolué, passant de petits drones de surveillance à hélice à un modèle plus grand, appelé UAV-X par les enquêteurs des Nations unies, qui peut parcourir plus de 1 400 kilomètres à une vitesse de 240 kilomètres à l’heure, selon les Nations unies – ce qui permet de couvrir une grande partie du Golfe, y compris les capitales saoudienne et émiratie.
Les autorités saoudiennes et l’administration Trump affirment que l’Iran a permis ces progrès rapides, bien que certains responsables américains remettent en question l’existence d’une aide directe fournie par Téhéran, qui, de son côté, rejette ces accusations.
En janvier, dans une autre attaque – reconnue par tous les camps –, les combattants houthis ont utilisé un drone pour attaquer un défilé militaire du gouvernement yéménite, tuant six personnes, dont un officier supérieur. C’était la première fois, selon les experts, qu’un groupe utilisait un véhicule aérien sans pilote, ou UAV, pour assassiner un fonctionnaire du gouvernement.
Les frappes montrent comment la technologie des drones, disponible dans le commerce et facilement utilisable comme arme, est difficile à combattre et peut transformer les conflits mondiaux, déclarent des responsables et des analystes.
Les Houthis sont devenus l’un des groupes activistes les plus habiles pour utiliser les drones en temps de guerre. Les rebelles, qui disposent, selon les Etats-Unis, d’une importante aide iranienne, se battent pour le contrôle du Yémen dans un conflit contre les forces gouvernementales assistées par des opérations aériennes dirigées par les Saoudiens et soutenues par les Etats-Unis.
Les frappes de drones ont alimenté un débat à Washington sur l’aide que l’Iran, cible d’une campagne de pression économique américaine en partie à cause de son soutien aux groupes militaires à travers le Moyen-Orient, a apportée aux rebelles au Yémen.
« Le soutien militaire iranien aux Houthis a augmenté la létalité et la portée de leurs systèmes, ce qui a augmenté la menace pour les forces saoudiennes et émiraties », déclare un responsable de la défense américaine.
Selon un autre responsable, les services de renseignement américains ont conclu que le programme de drones des Houthis est en grande partie local et n’a besoin que de peu d’aide extérieure.
La taille des drones peut aller de celle des gros avions sans pilote utilisés par l’armée américaine à celle des jouets que l’on trouve dans les centres commerciaux. L’expérience des rebelles yéménites montre que la technologie peut être acquise, introduite clandestinement dans une région et utilisée comme arme.
Les responsables américains, saoudiens et émiratis cherchent à la neutraliser. En janvier, la coalition militaire saoudienne a lancé une campagne concertée contre la menace croissante en bombardant les grottes du Yémen soupçonnées d’abriter des drones, ainsi que les sites où ils sont assemblés, a indiqué la coalition.
Les forces Houthis ont réagi en intensifiant les attaques de drones. Ces dernières semaines, les services de défense aérienne saoudiens ont abattu au moins 17 drones houthis au Yémen ou en Arabie saoudite, indiquent des responsables saoudiens. Les dirigeants houthis se vantent régulièrement de posséder des drones et de leur capacité à frapper les capitales saoudienne et émiratie.
Les Saoudiens et les Emiratis investissent massivement dans la technologie anti-drones, dit un responsable américain. Mais la relative facilité à construire des drones en utilisant des pièces trouvables dans le commerce représente un défi de taille pour contenir la menace.
Les responsables de l’ONU et des Etats-Unis pensent que les ingénieurs Houthis construisent habituellement les drones au Yémen. Ils ont surtout besoin d’introduire clandestinement des systèmes de guidage avancés et de petits moteurs puissants, déclarent les experts en armement.
Les autorités saoudiennes et américaines accusent l’Iran de fournir aux Houthis la formation et les plans de conception nécessaires à la construction de leurs drones.
Sur des drones houthis, les enquêteurs de l’ONU ont découvert des moteurs fabriqués aux Etats-Unis, en Chine et en Allemagne et au Japon
Sur des drones houthis, les enquêteurs de l’ONU ont découvert des moteurs fabriqués aux Etats-Unis, en Chine, en Allemagne et au Japon.
Les responsables de l’administration Trump considèrent la guerre au Yémen comme déstabilisatrice pour la région. Cet argument a été cité par le président Trump lorsqu’il a opposé son veto à une résolution bipartie approuvée par le Congrès visant à mettre fin au soutien militaire américain à la coalition dirigée par les Saoudiens.
Les législateurs américains craignent que le soutien américain ne prolonge le conflit au Yémen, que l’ONU décrit comme la pire crise humanitaire du monde.
« Le conflit au Yémen représente pour l’Iran un moyen “bon marché” et peu coûteux de causer des ennuis aux Etats-Unis et à notre allié, l’Arabie saoudite », a écrit M. Trump dans sa déclaration de veto d’avril.
Les responsables américains craignent de plus en plus que les drones des rebelles ne constituent une menace pour la navigation commerciale et les vaisseaux militaires américains dans la région.
« Les alliés des Américains au Moyen-Orient comprennent le puissant effet déstabilisateur que les Houthis soutenus par l’Iran ont au Yémen et dans les pays voisins, mais nombreux sont ceux qui ne le prennent pas suffisamment au sérieux », déclare un haut responsable du gouvernement américain.
L’augmentation des attaques de drones s’explique par la diminution du succès des attaques de missiles. Les forces rebelles yéménites ont lancé plus de 225 missiles pendant la guerre, dont plusieurs ont frappé Riyad, indiquent des responsables saoudiens.
Mais la dernière attaque de missiles houthis qui a fonctionné semble avoir eu lieu fin 2018, selon les données disponibles. Les autorités saoudiennes déclarent avoir abattu plus de drones que de missiles récemment.
Les Etats-Unis travaillent en étroite collaboration avec l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Oman pour étouffer la contrebande des missiles balistiques. Les drones, relativement bon marché et souvent fabriqués à partir de pièces disponibles dans le commerce, donnent aux rebelles yéménites une alternative.
Au début de la guerre, qui a commencé en 2015, les Houthis ont utilisé de petits drones à hélice pour la surveillance au Yémen. En 2017, ils ont commencé à faire voler des drones plus gros, en forme d’avion, à travers les systèmes radar de défense aérienne saoudiens au Yémen. Parallèlement, ils se sont mis à utiliser des bateaux télécommandés pour cibler les navires au large des côtes du Yémen, créant de nouveaux dangers sur l’une des routes maritimes les plus fréquentées du monde.
« Leur compétence s’est accrue très rapidement », analyse Scott Crino, PDG de Red Six Solutions, une société basée à Washington qui aide les agences gouvernementales américaines et d’autres clients à évaluer les menaces de drone.
Outre l’attaque de l’aéroport d’Abu Dhabi, les rebelles yéménites affirment également avoir mené deux autres attaques de drones contre l’aéroport de Dubaï, le plus fréquenté au monde. Les responsables américains et émiratis refusent de dire si ces affirmations sont vraies.
Les autorités saoudiennes affirment que le nouveau drone UAV-X des Houthis se rapproche de ceux développés par l’Iran et utilisés par le Hezbollah, l’allié de Téhéran au Liban. Ils accusent Téhéran et le Hezbollah d’envoyer des experts au Yémen pour former les combattants Houthis à l’utilisation des drones et des missiles.
L’année dernière, les enquêteurs de l’ONU ont déclaré qu’ils avaient des « indices solides » sur le fait que l’Iran était à l’origine de la technologie des missiles et des drones Houthis, mais n’ont pas établi de lien direct entre l’Iran et les rebelles yéménites. Ils ont conclu que l’Iran n’avait « pas pris les mesures nécessaires » pour empêcher la vente ou le transfert de missiles et de drones.
Les responsables iraniens rejettent les accusations et affirment qu’ils n’ont pas fourni de drones ou de missiles aux combattants Houthis et que le pays n’a envoyé aucune force au Yémen.
Traduit à partir de la version originale en anglais.
Dion Nissenbaum et Warren P. Strobel avec Summer Said